En cours au Siège de l'ONU

9905e séance – matin
CS/16051

Conseil de sécurité: appels à l’action en faveur des 123 millions de déplacés après un exposé « dramatique » du Haut-Commissaire pour les réfugiés

Le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés s’est inquiété, ce matin devant le Conseil de sécurité, de la « situation dramatique », provoquée par le manque drastique de fonds dont souffrent les agences onusiennes, y compris le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) qu’il dirige. 

En dépit de nombreux appels en faveur d’actions ciblant les 123 millions de personnes déplacées de force à travers le monde, M. Filippo Grandi a prévenu que le retrait progressif de son agence du théâtre des crises aura un impact sur la paix et la sécurité, « car nous serons moins en mesure de jouer un rôle stabilisateur ».  Si la tendance actuelle de réduction des budgets se poursuit, alors le système humanitaire va en payer le prix.  « Nous serons obligés de continuer à faire moins avec moins », a-t-il expliqué, indiquant, à titre d’exemple, que le HCR a été contraint de ranger au placard ses programmes de protection contre les violences sexistes. 

« On entend parler de priorisation des intérêts nationaux, d’augmentation des dépenses de défense – autant de préoccupations et de visées étatiques légitimes.  Mais ces préoccupations ne sont pas incompatibles avec l’aide, bien au contraire », a-t-il estimé.  Notant que « l’aide est synonyme de stabilité », il a prévenu que le gel ou la réduction des budgets d’aide, ce qui signifie, entre autres, retirer le soutien aux pays d’accueil parfois très fragiles et abandonner les personnes déplacées à leur sort, revient à compromettre sa propre stabilité. 

Le Haut-Commissaire s’est notamment attardé sur la situation au Soudan où une personne sur trois a été déplacée par le conflit.  Si la dynamique actuelle, caractérisée par une impuissance résignée et une aide en baisse, ne change pas, les effets déstabilisateurs de la guerre au Soudan vont s’accroître, y compris les mouvements de population.  Il y a déjà plus de 200 000 Soudanais en Libye aujourd’hui, dont beaucoup pourraient se diriger vers l’Europe, a-t-il précisé. 

De même, il a jugé crucial de continuer à planifier le retour éventuel des réfugiés et déplacés ukrainiens dans leurs communautés, tout en reconnaissant que ces personnes ne reviendront pas si elles ne sont pas en sécurité, si elles n’ont pas accès à un logement décent, à des services et à un emploi, et si elles ne sont pas convaincues que les conditions de paix soient durables. 

Appels à une refonte de l’architecture de gestion des réfugiés

Convaincus que la réponse aux déplacements forcés doit être guidée par les principes fondamentaux de souveraineté nationale, de sécurité des frontières et d’état de droit, les États-Unis ont noté que l’ONU existe pour l’action collective qui, ont-ils souligné, exige une responsabilité collective.  Chaque État Membre doit mieux partager le fardeau de la réponse humanitaire aux conflits.  Pour leur part les États-Unis assument ce fardeau de manière disproportionnée depuis des décennies, a affirmé la délégation américaine. 

De son côté, la Fédération de Russie a pointé la réticence des pays occidentaux à financer les programmes du HCR visant à aider les réfugiés de Syrie, d’Afghanistan, du Soudan et d’autres pays déchirés par des conflits.  Ces mêmes pays repoussent de force les demandeurs d’asile vers des pays en développement, a-t-elle accusé, fustigeant la politisation du retour volontaire des réfugiés syriens ainsi que les pressions politiques que subit l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA).  Elle a aussi évoqué la « situation tragique » en Méditerranée qui est devenue un « charnier » du fait de l’absence d’assistance de l’Europe occidentale. 

Notant que les pays en développement accueillent 85% des réfugiés dans le monde et que de nombreux pays développés continuent de réduire les places d’asile, de durcir leurs politiques d’immigration et de réduire les quotas de réinstallation, le Pakistan a appelé à une refonte de l’architecture de gestion des réfugiés. Pour cela, a avancé la délégation, un partage équitable des charges et des responsabilités doit être mis en œuvre. Elle a également souhaité que l’aide humanitaire et au développement aux pays d’accueil de réfugiés doit être fournie sous forme de subventions, et non de prêts qui grèvent les capacités nationales. 

Le Guyana s’est inquiété de l’impact de l’accueil des réfugiés sur les systèmes sociaux et les budgets nationaux des pays à revenu faible ou intermédiaire.  Relevant de son côté qu’un nombre important de réfugiés et de personnes déplacées dans le monde sont de nationalité vénézuélienne, le Panama a signalé que la situation économique actuelle, le vide démocratique et l’insécurité rampante au Venezuela aggravent la crise migratoire dans tout l’hémisphère. 

« L’intersection du conflit et de la pauvreté crée une tempête parfaite de vulnérabilité », a constaté à son tour la Somalie, selon qui le retour sûr, volontaire et digne, l’intégration locale et la réinstallation doivent être poursuivis en étroite consultation avec les communautés touchées et les pays d’accueil. Les besoins particuliers des femmes, des enfants et des autres groupes vulnérables exigent aussi une attention particulière, a souligné la délégation qui a plaidé pour une assistance internationale soutenue afin de garantir le rétablissement des services de base et des moyens de subsistance. 

La Sierra Leone a souligné que les catastrophes climatiques aggravent encore la vulnérabilité des réfugiés et des déplacés ainsi que la gravité des violences.  « Il faut s’attaquer à la tempête des déplacements climatiques », a renchéri la Slovénie, qui a constaté que les inondations, les incendies et les sécheresses prolongées provoqués par le climat chassent désormais des familles de leurs foyers « aussi brutalement que des hommes armés ou des bombes ».  La délégation a donc insisté pour que les considérations climatiques et environnementales soient intégrées, « systématiquement et sans délai », à tous les aspects de la prévention, de la résolution des conflits et de la consolidation de la paix. 

Plusieurs voix, dont celle de la France, ont demandé le renforcement du soutien au Pacte mondial sur les réfugiés.  En appelant à un partage des responsabilités, à un soutien accru aux communautés hôtes et à des solutions concrètes pour l’intégration ou le retour volontaire, ce pacte est un investissement pour la stabilité, a soutenu la délégation.  Pour le Haut-Commissaire, ce pacte est en effet une boîte à outils pour aider les États à mieux gérer les déplacements des populations, en complément du Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières. Dans une même veine, l’Algérie a plaidé pour des approches axées sur le développement et reposant sur la coopération internationale, jugeant elle aussi fondamental de mobiliser des financement suffisants et prévisibles pour permettre au HCR et aux pays d’accueil de continuer à fournir des services essentiels. 

Même son de cloche du côté de la Chine qui a par ailleurs exhorté la communauté internationale à empêcher toute migration forcée de la population palestinienne et toute tentative d’annexer des territoires.  La Grèce a dénoncé l’implication de réseaux criminels de passeurs le long des routes migratoires, ainsi que l’instrumentalisation des migrations, le Danemark appelant pour sa part le Conseil de sécurité à rejeter sans équivoque le recours délibéré à des obstacles bureaucratiques et administratifs pour refuser l’accès à l’aide. 

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Exposé du Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés

Exposé

M. Filippo Grandi, Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, qui a indiqué qu’il s’agit « probablement » de son dernier discours devant le Conseil de sécurité en sa qualité de Haut-Commissaire, a affirmé s’adresser au Conseil au nom des 123 millions de personnes déplacées de force à travers le monde.  Il s’est notamment attardé sur la situation au Soudan, où une personne sur trois a fui son foyer à cause d’une situation indescriptible: violence aveugle, maladies, famine, atrocités sexuelles généralisées, inondations, sécheresses. 

Il a averti que les conséquences de ce conflit s’étendent désormais aux pays de la région qui accueillent collectivement plus de 3 millions de réfugiés soudanais.  Les plus touchés sont le Tchad et le Soudan du Sud qui sont confrontés à d’énormes défis, outre l’afflux de réfugiés, mais qui ont maintenu leurs frontières ouvertes malgré un financement humanitaire largement insuffisant. Il a rappelé que le dernier appel régional pour les réfugiés n’est financé qu’à hauteur de 11% tandis que les besoins sont énormes, a-t-il déploré, signalant par ailleurs les lois et politiques tchadiennes relatives aux réfugiés sont parmi les plus progressistes au monde.  Ce qui leur manque, ce sont les ressources nécessaires pour continuer à accueillir des réfugiés, a-t-il déploré, appelant à ne pas les laisser seuls: car rien n’est inévitable dans la décision d’accueillir, de protéger et d’aider les réfugiés – comme le démontre les réponses bien moins accueillantes aux déplacements dans des pays bien plus riches. 

M. Grandi a indiqué que si la dynamique actuelle, caractérisée par une impuissance résignée et une aide en baisse, ne change pas, les effets déstabilisateurs de la guerre au Soudan vont s’accroître, y compris les mouvements de population.  Il y a déjà plus de 200 000 Soudanais en Libye aujourd’hui, dont beaucoup pourraient se diriger vers l’Europe, a-t-il précisé. 

Le Haut-Commissaire s’est dit également très préoccupé par les derniers développements en Ukraine, appelant à ne pas oublier le sort de plus de 10 millions d’Ukrainiens déplacés, dont 7 millions de réfugiés.  Il a jugé crucial de continuer à planifier leur retour éventuel dans leurs communautés, tout en reconnaissant que ces personnes ne reviendront pas si elles ne sont pas en sécurité, à court et à long termes, si elles n’ont pas accès à un logement décent, à des services et à un emploi, et si elles ne sont pas convaincues que les conditions de paix sont durables. 

Il a ensuite rappelé qu’au Myanmar, la situation critique de la minorité rohingya s’est également aggravée.  De ce fait, 1,2 million de Rohingya sont aujourd’hui réfugiés, principalement au Bangladesh, où ils croupissent dans des camps, sans emploi, privés de liberté d’action, et entièrement dépendants d’une aide humanitaire de plus en plus précaire. Pour trouver des solutions à la situation critique des Rohingya et commencer à recréer les conditions du retour des réfugiés, a-t-il préconisé, le dialogue avec toutes les parties est une première étape essentielle pour que les agences humanitaires, y compris le HCR, puissent rétablir leur présence et reprendre l’aide humanitaire dont elles ont désespérément besoin, en toute sécurité et en toute liberté. 

Poursuivant, le Haut-Commissaire a constaté que pour la première fois depuis des décennies, une lueur d’espoir se fait jour en Syrie, notamment pour les millions de Syriens toujours déplacés, dont 4,5 millions sont réfugiés dans les pays voisins.  Il a appelé à alléger les sanctions, soutenir sérieusement le relèvement rapide, stimuler les investissements du secteur privé et d’autres acteurs, afin de créer les conditions pour que les éléments fondamentaux d’une vie digne (sécurité, eau, électricité, éducation, opportunités économiques) soient accessibles au peuple syrien alors qu’il commence à reconstruire ses communautés. 

M. Grandi a enfin mentionné la situation critique du financement de l’aide.  « On entend parler de priorisation des intérêts nationaux, d’augmentation des dépenses de défense – autant de préoccupations légitimes, bien sûr, et de visées étatiques légitimes.  Mais ces préoccupations ne sont pas incompatibles avec l’aide, bien au contraire », a-t-il clamé.  Il a rappelé sa position selon laquelle « l’aide est synonyme de stabilité ».  En gelant ou en réduisant les budgets d’aide, ce qui signifie, entre autres, retirer le soutien de pays d’accueil parfois très fragiles et abandonner les personnes déplacées à leur sort, on compromet sa propre stabilité, a-t-il expliqué.  « Après plus de 40 ans dans l’humanitaire et près de 10 ans à mon poste actuel, je continue de croire que c’est en s’asseyant à la même table que toutes les voix peuvent être entendues, les fortes comme les moins fortes », a-t-il affirmé. 

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